dimanche 4 mai 2014

De quoi les femmes ont-elles vraiment envie ? (Partie 3 et Fin)

Phénomène : “Cinquante Nuances de Grey”, évolution ou régression ?

TEST
Fabienne Kraemer, psychanalyste, coach et auteure de Je prends soin de mon couple, revient pour nous sur le succès de la trilogie signée E.L. James.
 
« Que signifie le succès de cette trilogie ?
Que les femmes ont pris conscience que le désir s’entretient. Aujourd’hui, elles veillent à maintenir cette envie de l’autre, notamment en utilisant des ressources extérieures. Que ce roman soit devenu un tel best-seller prouve que cette recherche est assumée au grand jour. En revanche, son contenu montre, lui, qu’il y a encore du chemin à parcourir en termes de liberté sexuelle. E.L. James propose un schéma classique de jeune femme “initiée” par un homme un peu plus âgé qu’elle.
Les lectrices s’en tiennent donc à un fantasme oedipien traditionnel : il n’a rien de dérangeant puisque l’héroïne est en position de soumission et ne remet pas en cause la domination masculine. Ce succès peut s’assimiler à celui du fameux canard vibromasseur.
L’acte d’achat prouve que des verrous ont sauté. Mais ils incarnent une dimension très politiquement correcte de la sexualité. Le canard est certes un sex-toy, mais… en forme de canard. Et Cinquante Nuances reprend des motifs que l’on trouvait déjà dans Angélique, marquise des anges, sorti en 1964. » 

Décryptage : ces séries télé qui captent le désir féminin

En 1998, une bande de filles déboule sur la chaîne HBO et enchante les téléspectatrices du monde entier. Elles sont habillées comme pour un shooting de Vogue, mais, surtout, elles évoquent sans complexes leurs histoires de sexe. Fantasmes sur un prêtre, expérience homosexuelle, importance de la taille du pénis… Carrie et ses amies de Sex and the City sont les apôtres d’une sexualité multiforme et décomplexée « qui sort de la sphère privée pour se raconter dans la sphère publique », explique Aurélie Blot, enseignante-chercheuse, auteure de Cinquante Ans de sitcoms américaines décryptées (L’Harmattan, 2013).
 
En 2004, Desperate Housewives montre qu’une nouvelle étape a été franchie : tentation de l’adultère, érosion du désir dans le couple… Le succès de Bree, Gabrielle et les autres confirme que la parole s’est libérée, jusque dans ses aspects moins joyeux. La série met en effet l’accent sur « les frustrations », note Aurélie Blot et, via le personnage de Lynette, pose une question qui taraude nombre de téléspectatrices : l’épanouissement sexuel est-il soluble dans la routine familiale ?
Si Desperate Housewives parlait à leurs mères, Girls, lancée en 2012, évoque la sexualité des « vingtenaires » : corps imparfaits, scènes naturalistes, les jeunes téléspectatrices de la génération Y plébiscitent une représentation « vraie », exempte de « glamourisation » et « plus angoissée », estime Aurélie Blot.
 
Plus connectée aussi, pourrait-on dire, à regarder la drôlissime websérie Les Textapes d’Alice, diffusée par France 4 sur son site depuis le début de l’année. Alice et sa bande s’inquiètent du nombre de « likes » sur leurs photos de profil tandis que monte la température via des échanges SMS avec des partenaires abordés sur des sites de rencontres. Avant de débriefer la nuit sur son blog. Bref, sous nos yeux se redessine une carte du tendre générationnelle sur laquelle Twitter ou Facebook aiguillonnent les ego en même temps que le désir. 
 
Nous avons posé la question à trois femmes, trois écrivaines, trois générations : confidences intimes et sans détour.
 
Lola Lafon, 38 ans
« Pourquoi devrais-je me sentir “libérée sexuellement” ?
Parce que j’aurais le droit de consommer du sexe ?
Et si, demain, je rencontrais une personne avec laquelle je souhaitais passer le reste de ma vie, cela ferait-il de moi une personne moins “libre” ?
Cette expression ne me plaît pas, c’est un slogan publicitaire qui cache un nouveau diktat : “Soyez sexuelle !” Après avoir empêché les femmes de parler d’orgasme, l’aliénation s’est inversée : il faut faire l’amour, jouir et en parler. Mais attention : en restant sexy ! Regardez le symbole actuel de la “libération sexuelle féminine” : les Femen, de belles jeunes femmes aux seins parfaits. Et la liberté sexuelle des handicapées, des vieilles, des grosses… ?
Pour moi, la liberté consiste à s’efforcer d’échapper aux injonctions, quelles qu’elles soient. Je lutte sans cesse pour cela, dans tous les domaines, parce que toute norme imposée m’est insupportable. Mais je ne sais pas si j’y parviens pour autant, parce que je vis dans mon époque, et qu’il est compliqué d’être libre dans une société qui, contrairement à ce qu’elle affiche, ne l’est pas du tout. »
 
Régine Deforges : « J’aurais aimé avoir eu plus d’amants »  
Quelques jours avant sa disparition, le 30 avril dernier, l’écrivaine nous livrait son dernier entretien, un témoignage sans fard et sans censure, fidèle à elle-même (...).
 
Stéphanie Janicot, 47 ans
« Je suis d’une génération qui est entrée dans le monde de la sexualité en même temps que le sida. J’avais 17 ans lorsque les conférences d’information ont commencé à fleurir dans les provinces en général, et dans la mienne en particulier. Sur le chemin de la libération de nos corps, tous les voyants étaient au rouge. On nous répétait à l’envi : “Aimer sans prudence, c’est risquer sa vie.” Pas très engageant… Sans doute est-ce la raison pour laquelle l’expression “liberté sexuelle féminine” n’a pas la même résonance pour moi – pour nous, peut-être – que pour les femmes de la génération précédente. Elle s’apparente moins à une sexualité débridée qu’à une indifférence vis-à-vis des conformismes et des préjugés. Si liberté sexuelle veut dire ne pas me soucier du regard des autres, ne pas me conformer à ce que la société attend de moi, vivre uniquement en accord avec mes désirs, alors j’ai été libre et le suis toujours. Si on veut parler d’entrer dans le cadre des injonctions de séduction, de partenaires multiples, d’expériences désordonnées, de désir de provocation, alors je ne sais même pas de quoi il s’agit ! »
 

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